Fragments d'un été
Jaune
Des citrons à profusion,
Boules d'or cabossées.
Dans ces terres arides où le soleil distille son feu,
Se dressent, majestueux, l'arbre et ses feuilles d'un vert à faire pâlir les pelouses anglaises,
Lesté de fruits jaunes.
Promesse de bien des mets, d'odeurs et de juteux en-cas.
Une terre gorgée de citrons, d'oliviers, de fleurs, de tomates et d’aubergines.
Quelle générosité pour tous les sens,
Que d'inspiration pour la cuisinière.
Souviens-toi
Zakhor,
Souviens-toi,
Toi, nous
Un jour,
Le premier ,
Avant le premier,
Avant l'avant.
Souviens-toi,
Nous deux,
Puis, la nuit.
La grande nuit que nous traversons sous les projecteurs.
Souviens-toi,
D’elle, de lui.
C'est toi, c'est moi,
L’humanité toute entière.
Souviens-toi,
Nos jours, nos nuits, nos errances,
Nous étions un,
Une fois,
Dans la multitude.
Zakhor,
Souviens-toi,
Au moins une fois,
Toi et moi.
Souviens-toi.
Non
Elle disait non.
Elle hurlait non au ciel et à la terre.
Elle mordait et se débattait.
Un trou noir, immense,
Ils étaient sourds et muets.
Elle crierait encore et encore,
Jamais ne les laisserait en paix,
Jamais.
Renaissance
Il y a des larmes qui ne devraient jamais couler,
Des colères jamais exploser,
Des mots jamais fleurir.
Il est des larmes que je garde.
Elles n'auront pas d'existence, pas de substance.
Je me noierai en elles, plutôt que les regarder, que les assumer, que les choyer.
J'aurai la nausée, plutôt que céder.
J'ai embrassé le flot, lâché la digue qui menaçait de s'effondrer.
La vague m'a clouée au sol.
Amertume du sel sur mes lèvres rosées.
Le souffle coupé.
Bousculée au sol par une houle claquante.
Le chagrin, immense, encore.
O ma mère, soutiens-moi dans cette épreuve.
Je suis rouée de coups, asphyxiée.
Tends-moi tes bras salvateurs,
Que je renaisse encore.
Nina des bois
Elle avance, Nina, elle erre sur les chemins bordés de ronces. Elle plonge dans ses
profondeurs, s’embourbe dans la fange obscure et se relève, étincelante.
Elle sonde ses racines, ses grands-mères lointaines ventrues et chevelues qu’elle traîne
comme une ombre, qui la hissent vers les sommets.
Elle vit dans son monde, Nina.
Les elfes et les fantômes lui tiennent compagnie. Elle s’arrête pour respirer, pour écouter le
chant des oiseaux.
Qui entend le chant des oiseaux ?
Vraiment le chant des oiseaux ?
Elle est sur la terre mais elle n’est pas de leur monde.
Elle est une fée, un coléoptère, une licorne rose, un chardon piquant.
Elle remonte parfois à la surface.
Que le soleil est beau et la route semée de promesses et de pétales en velours.
Elle rêve les yeux grands ouverts, Nina.
Elle voit avec ses mains, avec sa peau dorée que les lucioles éclairent.
Elle s’enfonce dans cette terre qui la porte et qui l’aspire.
Elle roule sur sa vie et son esprit dévore les arbres.
Elle s’est allongée dans l’herbe, sur un tapis de mousse.
Une princesse dans un sous-bois,
Nina.
Les loups et les renards l’ont adoptée.
Ils l’ont déjà vue voler,
Danser avec les libellules.
Elle avance, Nina. Elle trace son chemin et les ornières ne l’effraient pas.
Elle embrasse la lumière et les cieux infinis.
Elle caracole sur les sommets, pirouette en haut des crêtes, enlace l’albatros et le dauphin
rieur.
Elle a épousé le Seigneur des Profondeurs qui sillonne les mers.
Elle dort dans les nuages sur une couche arc-en-ciel.
Elle a tout oublié, Nina.
Elle a oublié qui nous étions,
Les misérables, les terre-à-terre.
Elle vit sa vie, Nina,
Au-dessus, en-dessous, en-dedans.
Elle nous a tous oubliés,
Une heure, un jour, une seconde,
Toute une vie.
Qu’importent nos vils décomptes.
Elle a batifolé sans faire exprès, sans regarder.
Elle est parmi nous, en nous.
Mais qui sommes-nous ?
Et toi, Nina, qui es-tu ?
Que nous veux-tu ?
Jeter nos rêves aux orties,
Balancer nos velléités en enfer,
Sur la terre gémissante ?
Secoués de nos terrifiants démons,
Nina, on s’accrochera,
On pourrait t’aimer un jour,
C’est déjà ça.
Tu ne veux pas?
Pourquoi tu ne réponds pas ?
Jamais.
Où est-elle passée cette fois ?
A peine avons-nous aperçu son ombre furtive qu’elle s’en est allée.
Nina, ne nous oublie pas.
Tu ne peux pas disparaître et laisser choir nos chagrins de pacotille.
Nina, elle est partout, dans le temps,
Elle se faufile et elle bondit
Au creux de nos mémoires secrètes.
Nina, ne nous oublie pas.
Nina.
Souvenirs
Faire le calme autour de moi, en moi.
Elle est en train de s'en aller.
L’univers s’ébroue,
Mortelles vibrations.
Elle appelle au secours.
Les démons se pourlèchent,
Les siens, les miens.
Un être vacille, la terre tremble.
Mon féminin vicié, bafoué.
La petite fille acculée.
Une sucette, un gâteau.
Pas de baiser, jamais de baiser.
Un manque au cœur.
Elle se débat, appelle au secours,
Un hurlement venu des enfers.
Une douleur que rien n'apaise.
Je tremble, l’univers palpite
Je prie pour elle, pour moi, pour nous toutes.
Je prie dans le cœur de l'univers,
Pour que le manque cesse.
Désir ardent
J'ai tremblé, la boule au ventre.
Une peur, I'm scared.
La terreur des profondeurs.
Le feu brûle en moi.
Brasier des entrailles,
Brasier dément de ces cris jamais poussés,
De ces mots jamais prononcés,
De ces démons qui gisent en vrac,
Agglutinés dans les profondeurs.
Sangsues de mes bontés,
Absorbeurs de lumière,
Armée jamais rassasiée.
Je me vautre dans leurs chienlits,
Dans ces pourritures qui arrachent la nausée.
Ô brasier ardent,
Dévore mes veuleries, mes bassesses où je croupis.
Recouvre de rouge flamboyant ce magma qui m'aspire.
Mets en cendres mes noires inclinaisons.
Le mal qui me ronge, qu'il devienne poussière.
Poussière de poussière.
Consume mes viles pensées, mes sombres excès.
Que sa volonté soit plus forte que la mienne.
Je m'incline face à mon destin.
Que je fus.
Que cela soit.
Plus de gémissement et de foutaise,
D'apitoiement et de faux-semblants.
La joie est partout
Et je suis en vie.
J'ai réchappé à la mort.
Infinie gratitude.
Merci.
Thank you.
Il me faut en finir avec la violence à tout jamais,
Briser le cycle, fermer le cercle.
Regarde ton 'étoile.
Elle luit vaillamment dans la nuit.
Cueille-la dans ton cœur.
Ton cœur qui bat au nom de l'amour.
Un amour insensé de la Terre et de la Mère.
Un amour dont tu n'as pas capté un centième de la puissance.
Cueille-le dans ton cœur.
Et la terre resplendira,
Et tu rayonneras,
Comme il l’a voulu,
Ta volonté dans la sienne.
Nina en feu
Elle rêve debout, Nina,
Les yeux tournés vers le ciel bleu et vaste,
Vers l'immense lit noir zébré de lumière.
Une lumière, des éclairs puis, le feu.
La terre s'embrase, les cieux explosent.
Un brasier enflamme les plaines desséchées.
La foudre s'abat sur les clairières abrasées.
Nina survole le sol de ces pas graciles,
Sourde aux menaces du ciel et de la terre,
Foudre fracassante.
Le vent tourbillonne, les arbustes ploient, les feuilles tremblent.
Elle épouse le ciel et la terre,
Leur colère, leur combat.
Cette terre stérile ne demande qu'à éclore.
Que le feu la terrasse, la vivifie, la purifie.
Elle remercie le ciel et la terre, Nina.
Ils savent tous.
Ils savent mieux que les savants.
Que brûlent la steppe et la savane,
Les forêts de pins cramoisissent jusqu'à la pointe.
Nina danse sur les cendres.
Nina se roule dans leur manteau gris,
Gris comme la suie,
Gris comme la nuit.
Ballotée par les vents contraires, elle goûte l'odeur de l’aride.
Aride et riche,
La promesse d’un renouveau.
Que la foudre frappe cette terre et s’empare de ses tourments.
Qu'elle soit lavée par l'eau du ciel.
La voûte est noire, sans étoiles et sans lune.
Nina plonge dans le noir,
Le noir au-delà du noir, profond et sans espoir,
L'outrenoir.
J'ai soif et j'ai faim de lumière, de vert, de rouge et de sang,
De jonquilles et de roses,
De rose de nacre qui piquent.
Ne m'approchez pas,
Nina se relève et tout son corps ondule de vie.
Elle se roule dans l’herbe fraîche, s’y étend et s'endort.
Elle part au pays des songes, Nina,
Son pays à elle, son chez-soi.
Elle s'abandonne aux forces de la nuit,
Comme un petit oiseau fragile.
Chut, Nina dort,
Chut.
Margaux jaillie des eaux
Elle a traversé des vies et des vies, d'une rive à l'autre,
Accrochée à une barque de fortune,
Diaphane derrière les rideaux d’une fenêtre mansardée.
Margaux, elle glissait sur la mer,
Les océans intérieurs baignaient son cœur et noyaient ses envies.
Elle a marché sur l'eau,
Fantôme des flots, ombre furtive.
Les cadavres réclament leur dû.
Ces corps engouffrés par des flots avides n’ont pas réglé leurs comptes.
Les cadavres réclament leur dû.
Le sang appelle le sang.
Les âmes ont soif de larmes, de douleur, de semblables.
Margaux, elle les entend et elle les voit,
Eux, les errants éternels.
Elle se niche parmi eux et ignore le monde des vivants.
Elle traverse nos contrées, absorbée, absente.
Elle a peur de ces ombres
Ils ont plus peur qu'elle, ces êtres de chair qui voudraient la retenir.
Les évanouis qui stagnent dans les eaux troubles,
Je les porte en moi, dans toutes mes cellules.
Ces femmes avant moi dont je suis l'héritière, je leur dois la vie.
Merci.
Une vie belle et magnifique, comme chaque jour qui se lève,
Quels que soient les nuages et les peines.
Une vie à savourer à construire.
Ne retenir que le beau.
L'étoile brille en chacune d'elles.
La souffrance n'est plus un étendard
Que nous partageons, elle et moi.
Elles m'ont transmis la force, le vernis, le travail, la cuisine.
J'ai la foi qui me porte et illumine mes journées et mes nuits obscures.
Je les porte en moi et mes cellules se souviennent.
Zakhor
Anne-Sophie Lacombe
Juillet-Août 2019